luc tartar
S'embrasent (2009)
S'embrasent, Roulez Jeunesse
mise à jour:

Leurs corps s’embrasent secoués par un désir qui déferle et désarme. On entend nettement une page sui se déchire. La vitre vole en éclats. Les amants passent dedans. Par la fenêtre. Comme de l’autre côté d’un miroir. Et disparaissent. Bouffés par la maison.

Et il y a d’autres passages qui pourraient s’offrir à un travail de théâtre-image.
Le mélange d’une esthétique musicale et d’une esthétique du tableau se retrouve dans les choix qui ont présidé aux « sous-titres » des différentes séquences de la pièce, comme on en voit dans les films muets aussi bien que dans les titres des toiles présentés sur les cartels des musées. Ces différents titres délimitent en quelque sorte des fragments de parole, jouant tous sur une homophonie dont le titre est le révélateur, S’embrasent: Nous avons ainsi, après le Prologue, « S’embrassent », « S’envolent », « S’empiffrent », « S’enferme », « Sang froid », « S’embrouillent », « Sentinelle »… jusqu’au sous-titre final qui est aussi celui de la pièce et qui explicite  en quelque sorte l’évolution de la partition en réécrivant le premier sous-titre : « S’embrasent ».  On remarquera que les sons mis au cœur de la pièce [sã] révèlent le manque (sans), le sang, la sensation au double sens psychologique et physique (sent, sens), et le nombre (cent). Tout y semble dit des thématiques de la pièce : le manque d’amour ou le manque au cœur de l’amour ; le sang des menstruations féminines ou le passage de l’âge adolescent à l’âge adulte, la sexualité, le flux vital… ; les sentiments et les sensations, le cœur et le corps ; et pour finir je et les autres, le rapport aux autres, deux, cent ou mille…
Toute la langue de cette pièce a des vertus contagieuses : poétique sans être trop éloignée de la langue des jeunes pour lesquels elle a été écrite en résidence au Pélican, proche de la langue des jeunes mais sans être démagogique, mise à la portée du lecteur/acteur sans refuser la complexité et la difficulté, élitaire sans être élitiste. On y trouve tout ce qu’un enseignant ou un comédien en situation de travailler avec des jeunes peut apprécier et sur quoi il peut s’appuyer avec bonheur. 
C’est ainsi que le jeu homophonique au cœur de la pièce pourrait devenir facilement consigne d’écriture ou d’improvisation théâtrale, ou comment construire des fragments portant chacun un titre jouant sur des sons initiaux communs.
On comprend aussi que ce principe d’homophonie, au-delà du jeu sur les mots, est révélateur d’un principe éthique au cœur de la pièce et que l’on pourrait nommer « principe d’harmonie ». Tout peut rimer à quelque chose, pour peu que l’on s’en montre capable… Tout et chacun peut trouver son écho ou son double, et il semble bien que les pouvoirs de la langue y aident.  Cela n’exclut pas les notes plus sombres, parfois assez tragiques, mais cela empêche la pièce de sombrer dans un néantisme que rejette le théâtre en direction des jeunes.

Note de lecture de Marie Bernanoce, professeur de lettres modernes, Maître de Conférences à l'Université Stendhal (Grenoble 3)
Extrait remanié du Répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse, tome 2, ouvrage à paraître aux Editions Théâtrales en 2012.

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