Editions Lansman, 2009, puis 2017.
S’embrasent a été écrit en résidence d’écriture à Clermont-Ferrand, Théâtre du Pélican, bourse du CNL.
Roulez jeunesse est une commande du Théâtre du Pélican.
Jonathan embrasse Latifa dans la cour du lycée. C’est un coup de foudre qui bouleverse les témoins de la scène -les filles, les garçons, les profs, les parents, la voisine d’en face et même le directeur. Jonathan et Latifa ouvrent une brèche dans le quotidien et leurs cœurs s’embrasent jusqu’à les faire disparaître aux yeux du monde…
« Un Éveil du printemps d’aujourd’hui, dans une langue très musicale, pleine d’assonances et d’allitérations, une belle matière à jouer par des adolescents, notamment. » Aux Nouvelles Ecritures Théâtrales.
AMOUR - ADOLESCENCE – SEXUALITE – RELATION ADULTES/ADOLESCENTS
S’embrasent met le monologue au creux de sa dramaturgie, alors que le monologue est une forme peu présente au sein du théâtre contemporain pour les jeunes, ce que certains auteurs regrettent. Sans doute excessive, la vogue du monologue qui a saisi le théâtre dans la seconde moitié du XXème siècle n'est pas nécessairement un modèle pour le théâtre jeunesse. Mais la question a toutes les apparences de la fausse question si la théâtralité repose sur un possible partage des voix des plus vivants, appelant les corps, les voix et les outils de la scène, ce qui est le cas ici.
Dans S'embrasent, Luc Tartar use du monologue d’une façon extrêmement originale, dans le cadre d’une esthétique musicale partagée certes avec beaucoup d’autres auteurs de théâtre jeunesse et de théâtre généraliste mais qui emprunte ici des sentiers à mes yeux tout à fait novateurs, au travers d’une construction dramaturgique que l’on pourrait dire «brûlante», comme l'est un feu auquel on se réchauffe, et que travaille la référence au cinéma.
Au centre de la pièce, une scène de baiser entre deux jeunes, Latifa et Jonathan, ce Jonathan qui semble attirer et fasciner tout le monde. Le baiser se joue dans la cour de leur lycée, sous les yeux de tous, y compris ceux du proviseur uniquement soucieux de son règlement mais cependant fasciné, et il se joue aussi, en forme de contrepoint, sous les yeux de la vieille dame de 80 ans qui met des préservatifs dans une assiette, sur sa fenêtre… Cette scène du baiser fonctionne alors comme une sorte de leitmotiv, un point non pas obscur mais lumineux qui irradie la totalité de la parole proférée. C’est un centre de regard, une prunelle toujours ouverte dans laquelle le regard des autres trouve en quelque sorte sa propre prunelle, et l’on s’y brûle dans une partition éclatée et néanmoins tenue.
Les différentes paroles ne sont pas originées, nous ne savons pas toujours clairement qui les prononce. Il faudra que le lecteur et le metteur en scène se laissent porter par les différents airs qui se croisent, se doublent ou se dédoublent. Le monologue ne l’est pas toujours, il interfère aussi par endroits avec des dialogues à reconstruire, et des phrases reviennent comme des refrains qui caractérisent des personnages. De là naît l’impression d’éclatement, qui peut surprendre le lecteur non averti. Il semble alors évident que cette écriture devra se faire entendre, résonner dans l’espace d’une classe ou d’un atelier de pratique théâtrale. On y sentira alors comment des sortes de reptations (c’est une des caractéristiques de la pièce paysage selon Michel Vinaver) où s’incarnent puis se désincarnent les personnages au travers de ces paroles à la première ou troisième personne qui expriment toujours un je. Mais cette partition est également très tenue, en quelque sorte resserrée, car elle s’inscrit dans l’espace selon une construction géométrique revenant sans cesse au couple du baiser. Nous sommes ainsi, à la fin de la pièce, dans un tableau à la Chagall qui pourrait nourrir un riche travail de plateau :
Leurs corps s’embrasent secoués par un désir qui déferle et désarme. On entend nettement une page sui se déchire. La vitre vole en éclats. Les amants passent dedans. Par la fenêtre. Comme de l’autre côté d’un miroir. Et disparaissent. Bouffés par la maison.
Et il y a d’autres passages qui pourraient s’offrir à un travail de théâtre-image.
Le mélange d’une esthétique musicale et d’une esthétique du tableau se retrouve dans les choix qui ont présidé aux « sous-titres » des différentes séquences de la pièce, comme on en voit dans les films muets aussi bien que dans les titres des toiles présentés sur les cartels des musées. Ces différents titres délimitent en quelque sorte des fragments de parole, jouant tous sur une homophonie dont le titre est le révélateur, S’embrasent: Nous avons ainsi, après le Prologue, « S’embrassent », « S’envolent », « S’empiffrent », « S’enferme », « Sang froid », « S’embrouillent », « Sentinelle »… jusqu’au sous-titre final qui est aussi celui de la pièce et qui explicite en quelque sorte l’évolution de la partition en réécrivant le premier sous-titre : « S’embrasent ». On remarquera que les sons mis au cœur de la pièce [sã] révèlent le manque (sans), le sang, la sensation au double sens psychologique et physique (sent, sens), et le nombre (cent). Tout y semble dit des thématiques de la pièce : le manque d’amour ou le manque au cœur de l’amour ; le sang des menstruations féminines ou le passage de l’âge adolescent à l’âge adulte, la sexualité, le flux vital… ; les sentiments et les sensations, le cœur et le corps ; et pour finir je et les autres, le rapport aux autres, deux, cent ou mille…
Toute la langue de cette pièce a des vertus contagieuses : poétique sans être trop éloignée de la langue des jeunes pour lesquels elle a été écrite en résidence au Pélican, proche de la langue des jeunes mais sans être démagogique, mise à la portée du lecteur/acteur sans refuser la complexité et la difficulté, élitaire sans être élitiste. On y trouve tout ce qu’un enseignant ou un comédien en situation de travailler avec des jeunes peut apprécier et sur quoi il peut s’appuyer avec bonheur.
C’est ainsi que le jeu homophonique au cœur de la pièce pourrait devenir facilement consigne d’écriture ou d’improvisation théâtrale, ou comment construire des fragments portant chacun un titre jouant sur des sons initiaux communs.
On comprend aussi que ce principe d’homophonie, au-delà du jeu sur les mots, est révélateur d’un principe éthique au cœur de la pièce et que l’on pourrait nommer « principe d’harmonie ». Tout peut rimer à quelque chose, pour peu que l’on s’en montre capable… Tout et chacun peut trouver son écho ou son double, et il semble bien que les pouvoirs de la langue y aident. Cela n’exclut pas les notes plus sombres, parfois assez tragiques, mais cela empêche la pièce de sombrer dans un néantisme que rejette le théâtre en direction des jeunes.
Note de lecture de Marie Bernanoce, professeur de lettres modernes, Maître de Conférences à l'Université Stendhal (Grenoble 3)
Extrait remanié du Répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse, tome 2, ouvrage à paraître aux Editions Théâtrales en 2012.
- Jonathan sexuellement il fait mouiller tout le monde. Les filles les garçons les profs et même le proviseur. Tu le croises dans les couloirs c’est comme les chutes du Niagara. Tu transpires tellement t’en peux plus. Il est beau et ses yeux des étoiles des éclairs des petites pointes trempées dans le curare qui te chatouillent la peau tambourinent à ta porte et pénètrent ton cœur. Un regard et je me paralyse. Je bous. Je mouille. Une vraie cocotte
- Chaud devant
- Jonathan sexuellement il l’a fait avec Sophie Isabelle Dorothée Ludivine Jean-Baptiste mais pas avec moi
- Jonathan sexuellement il a rien fait du tout
- Avec Latifa crois-moi il avait pas sa langue dans sa poche
- Tu les as balancés
- Sophie Isabelle Dorothée Ludivine Jean-Baptiste mais pas moi
- Jonathan sexuellement. Faites passer
- J’ai pas écrit ça
- Texto
- Jonathan sexuellement il nous en fait baver. Il se tient dans la cour droit il fait rien juste que respirer le corps alangui ouvert au monde et ça nous fait trembler. Les feuilles les arbres le sol ça fait trembler nos bases on oublie tout ce qu’on a appris les conseils de maman « Suis pas les inconnus » on tremble sur nos bases et hier ce qui devait arriver Latifa s’est écroulée
- On dit tomber amoureux
- Elle a chuté de sa hauteur
- C’est un éblouissement des sens. Latifa tombe en arrière le crâne lourd des promesses d’un regard échangé. Latifa vient d’arriver et les nouvelles vont vite. On lui dit « Jonathan sexuellement » elle le croise dans la cour et direct c’est un coup de foudre qui la secoue et qui lui offre en prime un ticket pour le bonheur. Latifa s’abandonne à l’avenir tombe en arrière et entre dans l’inconnu. Et lui Jonathan se retourne et la rattrape au vol. Ma parole c’est un ange. Bouge à la vitesse grand v. La recueille dans ses bras l’étreint légèrement et l’embrasse. Leurs corps s’entremêlent – une main ici un pied là. On dirait qu’ils vont tomber. Mais non. Ils s’embrassent. Et nous on se demande comment ça marche. On fait cercle autour d’eux. On voudrait comprendre. La gravité. La pesanteur. Ce corps à corps insensé et nous dans les cordes. Venir au monde. Tenir debout. Franchir un à un les obstacles se croire invincible et découvrir le vrai sens de la vie dans un baiser de cour de lycée. Maman. Papa. Tout s’écroule. Moi aussi je tombe. Et personne pour me rattraper
- Je trébuche je m’évanouis je m’étale ce baiser me fait mal s’insinue dans mon ventre se blottit dans ma tête et m’empêche d’avancer. Je me fais des films des histoires d’amour qui me cueillent au réveil qui me boostent et m’aident à passer la journée mais aujourd’hui patatras Jonathan embrasse Latifa et comment tenir debout après ça
- Les amants eux font leurs premiers pas. Traversent la cour sous nos yeux ahuris et passent la grille. La scène est vécue en direct par tout le monde. Les filles les garçons les profs et même le proviseur. Quelle veinarde cette Latifa. Elle a trouvé chaussure à son pied. Elle marche. Elle et son Roméo de l’autre côté de la rue. On en reste bouche bée
- Et le proviseur
- Tête baissée. On dirait qu’il s’incline devant tant d’évidence ou qu’il cherche quelque chose à dire. Là. Une trace de pas laissée par Jonathan. Puis il lève des yeux rouges de colère et s’écrie « Au voleur »
- Au voleur
- A moi. Ma réputation ma carrière mon autorité mon règlement intérieur et mon conseil de discipline
- Et moi je dis : A moi mes illusions. A moi mes rêves d’enfant. Mes leçons mes devoirs mon quatre heures. A moi mon for intérieur ma vision du monde et mes perspectives d’avenir. A moi la vie. Quinze ans d’apprentissage des choses du monde et aujourd’hui mon cœur se tord. Jonathan aime Latifa. Et moi alors
+ La mise en scène de Jean-Claude Gal et Marielle Coubaillon
+ La mise en scène d'Eric Jean (Théâtre Bluff, Montréal)
+ La mise en scène de Hugo Arrevillaga Serrano à Mexico
+ La mise en scène de Mariana Chávez à Tijuana, Mexique
+ La mise en scène de Anahi Alonzo à Mérida, Mexique
+ La mise en scène de Fausto Ramirez à Aguascalientes, Mexique
+ La mise en scène de Fernando Axkana à Pachuca, Mexique
+ La mise en scène d'Irina Barca et de Sarah Kramer à Berlin
+ La mise en scène de Jesus Rojas à Puebla (Mexique)
+ La mise en scène d'Alexander Flache à Wilhelmshaven (Allemagne)
+ La mise en scène de Lucie Bojarski, festival de théâtre étudiant de Caen Les fous de la rampe
"Dans S'embrasent, Luc Tartar tente l'exploration du vertige amoureux qui peut saisir deux êtres. [...] La langue de cette pièce semble dotée de vertus contagieuses : sans être trop éloignée de la langue des jeunes pour lesquels elle a été écrite, elle trouve une véritable force poétique, jamais racoleuse, et se met ainsi véritablement à la portée du lecteur/acteur."
Marie Bernanoce, "Vers un théâtre contagieux",
Répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse (volume 2), Editions Théâtrales.