luc tartar
Papa Alzheimer (2003)
Papa Alzheimer, Information sur le schnaps
mise à jour:

Information sur le schnaps

 
Le père est mort et laisse la mère et le fils dans un face à face explosif : elle noie sa douleur dans l’alcool, lui est obsédé par les bruits de la maison, coups répétés dans les meubles, grincements de la porte de la cave ou de celle du bar de la télé…
 

Note de lecture & dramaturgie :

(Lettre de Diane Pavlovic à Luc Tartar, 28 janvier 2001.)
« Voilà un texte virulent qu’on entend tonner du début à la fin, et sa concision décuple sa violence. Très court, il explore moins les nuances de ses deux personnages que l’exaspération de leur état : déroute et hargne mêlées. […]
Je pense que ton intuition était très juste, d’utiliser une forme courte pour ce genre de propos ; de cette façon, tu l’as synthétisé en deux ou trois affrontements qui prennent valeur de modèles. On s’y retrouve immédiatement : mélange de frustration et de désespoir d’un côté, de haine et de souffrance de l’autre.
Absents l’un à l’autre malgré eux, tes deux personnages s’encombrent mutuellement, et leur agressivité est terrifiante parce qu’elle sonne vrai. […] Ton habileté consiste à avoir érigé ces deux murs qui se font face en ouvrant dans chacun des brèches pour le spectateur. Fils qui reçoit chaque nouvelle occurrence de l’alcoolisme de sa mère comme un coup dans le ventre, mère qui fulmine et qui frappe, recluse dans sa fureur. […] Tes deux protagonistes sont soulevés chacun par un courroux qui lui est propre et qui le tend comme un arc, ce qui donne une grande force au texte; d’autant plus que, dans ce courroux, entrent dans les deux cas de l’impuissance, du chagrin, une brûlure qui ne s’apaise pas.
La pirouette finale accroît du reste cette incompréhension érigée en système : chez le père lui-même, nulle trace de compassion. En quelque sorte de mèche avec le fils, son fantôme clôt la pièce par une grimace ironique à l’effet foudroyant : "Raymond tu te fous de moi ?" Oui ! nous est-il rétorqué sans équivoque; et c’est la première fois que le "père", ou ce qui en tient lieu dans la pièce, répond directement à l’appel de sa femme... »
 

Un extrait :

Le fils : Regarder la télé n’est pas la solution. Que faire de la misère du monde ? Heureusement qu’on peut compter sur nos meubles. Quand on vacille devant les horreurs qui s’étalent à l’écran le meuble de la télé lui nous réchauffe avec ce qu’il a dans le ventre. Car le meuble de la télé est aussi un bar. Une petite pression en haut à droite –clic- et voilà que le devant du meuble de la télé s’ouvre vers le bas découvrant dans ses flancs une véritable caverne d’Ali Baba. Le top. Longtemps on y a fait le plein. Des apéros et des cannettes. Des chips. Des cacahuètes. Et puis un jour bêtement la porte du meuble de la télé s’est mise à grincer. Elle aussi. Le meuble de la télé ce con ne pouvait plus ouvrir sa gueule sans prévenir tout le quartier. Clic. Ouiiiiii. Ouiiiiii. Clic. Ce qui veut dire « Attention quelqu’un ouvre la porte du bar de la télé et la referme. » Et tout de suite cette question : qui ?
La mère : Qui a ouvert la porte du bar de la télé ? Qui a déplacé les chips les bouteilles ? Qui ? Il fallait en finir avec ces questions d’un autre âge. J’ai donc pris sur moi et j’ai disséminé les apéros dans la maison. C’est nettement plus amusant. Qui n’est jamais tombé sur une anisette dans le placard à balais ne connaît pas les joies des parties de cache-cache. Que voulez-vous. Passée l’heure de la sieste on s’ennuie l’après-midi. Que faire jusqu’à six heures ? Temps Tiens. Du porto dans le tambour de la machine à laver. Voilà qui va booster mes réflexions sur la misère du peuple. Temps Qu’est-ce que t’as à me regarder comme ça ? J’ai bien le droit de prendre cinq minutes. Je suis chez moi quand même.
Le fils : Qu’est-ce que c’est que ça ?
La mère : Un torchon.
Le fils : Je vois bien. Mais qu’est-ce qu’il y a dessous ?
La mère : Il n’y a rien sous le torchon.
Le fils : Regarde. C’est un verre.
La mère : Ah oui tiens. Un verre.
Le fils : Il est plein.
La mère : Non.
Le fils : Tu te fous de moi ? C’est du vin blanc.
La mère : Non ?
Le fils : Qu’est-ce que c’est que ça ? Du vin blanc sous le torchon ?
La mère : Ca ? Sous le torchon ? C’est rien. Allez. On jette ça dans l’évier.
Le fils : Maman. Il est huit heures du matin…
La mère : Et alors ? Va te coucher si t’es fatigué.
Le fils : Du vin blanc… à huit heures du matin…
La mère : Quel vin blanc ? Je ne vois rien. Un évier. Un verre. Un torchon. Temps De l’autre côté des étagères des casseroles. Une balance. Une pendule. Huit heures du matin. Tout le monde est là. Nul vin blanc à l’horizon. Le soleil. Et toi. Dans mes pattes. Livide. Qu’est-ce que t’as à me regarder comme ça ? Je ne tiendrai pas la route avec un regard pareil. Tu me fatigues… J’vais me coucher… Temps Le grincement des meubles partout dans la maison. Je me couche et j’entends le grincement des meubles dans la maison. Raymond ? C’est toi ? Un coup pour oui. Deux coups pour non. Raymond. Le petit vide mes bouteilles dans l’évier. Si c’est pas malheureux.
La mise en scène de Christophe Moyer

Information sur le schnaps, traduction roumaine, Eugenia Anca Rotescu.
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