Editions Lansman, 2005
Estafette a été écrit en résidence d’écriture au Théâtre d’Arras, janvier-mars 2001.
Adieu Bert a été écrit en résidence d’écriture à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, septembre-octobre 2001. Bourse du CNL, aide à la création du Ministère de la Culture (DMDTS)
Un champ de bataille, devenu lieu du souvenir, et des galeries de mine désaffectées dans lesquelles errent des fantômes. Ces lieux de mémoire sont entretenus par un couple de vieux gardiens, Rose et "Gueule Cassée", soldat rescapé des combats qui cache ses blessures sous un casque de mobylette. Ici le temps s'est arrêté, à peine troublé par ces disparus qu'on appelle Antonin, William ou Bert, et dont les corps remontent du passé, laissant apparaître à fleur de terre une blague à tabac, une veste ensanglantée ou un mouchoir en dentelle… Un mouchoir… Voilà qui ramène Rose cinquante ans en arrière, au moment où le soldat Gus est fusillé sur ordre de l’état-major pour avoir reculé devant l’ennemi. Chut ! Les morts nous parlent. Qu’est-ce qu’ils ont à nous dire ?
Pas de déchaînement, de cri, d’atrocité, pas d’analyse crue de la violence humaine. Estafette ne fait pas dans l’écorché ni dans l’héroïsme. La pièce met en scène avec grâce et délicatesse, les victimes du grand carnage.
Aux Nouvelles Ecritures Théâtrales.
La presse :
Le passé tragique des tranchées de la grande guerre. Un texte magnifique d’où jaillissent dérision, humour et fatalité. Un texte contemporain à découvrir sans tarder.
La République du Centre, Cyril Vailly.
Un extrait :
Gus, se réveillant : Tu dors pas ?
Rose : Je répare ton pantalon.
Gus : Mon pantalon ?
Rose : Le bouton. Il va sauter.
Gus : Laisse tomber. Temps Tu dors pas ?
Rose : J’ai fait un mauvais rêve.
Gus : C’est la guerre ?
Rose : Oui.
Gus : Viens.
Rose : C’est la guerre Gus. T’as besoin d’un pantalon.
Gus : Ça peut attendre demain.
Rose : Tu peux pas te battre sans pantalon. Qu’est-ce qu’on dirait…
Gus : Rose fais pas ça…
Rose : Quoi ?
Gus : Je t’en prie… T’es pas ma femme…
Rose : C’est gentil pour ta femme…
Gus : C’est pas ça que je veux dire…D’abord je suis pas marié…
Rose : J’ai rien demandé…
Gus : Je sais. Qu’est-ce que tu fais ?
Rose : Quoi ? Je recouds ton bouton. C’est interdit ?
Gus : En pleine nuit ?
Rose : Et alors ? Si j’ai envie de travailler en pleine nuit moi… Je suis couturière et insomniaque. J’aménage mes horaires comme je veux. Je supporte pas de voir ce malheureux bouton suspendu au bout d’un fil. On dirait qu’il est en train de se suicider. Rigole. Le jour où tu perdras ton pantalon tu seras moins fier. Cette nuit j’ai entendu pleurer ta boutonnière. C’est ça qui m’a réveillé. Je suis sensible oui. J’entends pleurer les boutons et les boutonnières de tout le bataillon. Est-ce que ça dérange quelqu’un ? Pendant que toi tu dors j’ai bien le droit de passer en revue les boutonnières de ta vareuse de ta capote et de tout ton fourniment. J’ai bien le droit de m’occuper de toi et de réparer ton beau pantalon.
Gus : Qu’est-ce que tu lui trouves à ce pantalon ?
Rose : Il est rouge.
Gus : C’est bien le problème. Tu nous vois monter à l’assaut avec ça ?
Rose : C’est joli.
Gus : Pour danser oui. Pas pour monter à l’assaut…
Rose : T’as raison. Viens. On va danser…
Gus : Hein ?
Rose : Lève-toi.
Gus : Rose je suis fatigué…
Rose : Allons… Lève-toi…
Gus : Rose…
Rose : Lève-toi c’est un ordre !
Gus : Pas ça…
Rose : Dansons. Tu seras mon cavalier.
Gus : Je sais pas danser…
Rose : Je vais t’apprendre…
Gus : Tu vas pas m’apprendre à danser…
Rose : Pourquoi pas ?
Gus : Il est trois heures du matin…
Rose : Et alors ?
Gus : Il est tard. Je suis fatigué. Demain je monte à l’assaut…
Rose : A l’assaut ? Un dimanche ?
Gus : Ou un autre jour… quelle importance…
Rose : Ils vous font travailler le dimanche ?
Gus : Rose c’est la guerre.
Rose : Et alors ? Te laisse pas faire. Dis-leur que t’as besoin de repos.
Gus : Rose je suis un soldat. J’obéis.
Rose : Et moi je te dis de venir danser…