Edition Lansman 2016 (in Madame Placard à l'hôpital)
Madame Placard est une commande du Théâtre d’Arras.
Madame Placard est femme de ménage dans une école et raconte son histoire : enfant, elle était insensible et ne connaissait pas la douleur. C’est une maladie orpheline, maladie génétique rare, "l’analgésie congénitale à la douleur". Elle martyrisait donc son corps sans le savoir, était un danger pour elle-même et pour son entourage. Afin de la protéger d’elle-même, ses parents l’enfermaient régulièrement dans un placard. Une nuit, on l’oublia dans le placard…
Un extrait :
A la maison je me cogne dans les meubles me pince les doigts dans les portes empoigne les couteaux par la lame. Ne connaissant pas la limite imposée par la douleur il m’arrive de me laver les mains à l’eau bouillante. Je me brûle sans même m’en rendre compte et martyrise mon corps sans le savoir. Pauvre corps qui passe par toutes les couleurs. On m’appelle « l’enfant bleue » et je deviens un véritable objet de curiosité pour mes frères et sœurs et pour tout le voisinage. Le soir après l’école on m’exhibe dans la rue. « Venez voir notre petite sœur qui ne connaît pas la douleur. On lui tire les cheveux elle ne sent rien. Qui veut essayer ? En échange d’un billet venez lui pincer les mollets. » Pour me défendre je pique des crises. Devant les curieux assemblés je menace de m’arracher les ongles ou de me retourner les doigts. On crie « Aahh… » à la vue du sang qui dégouline de ma bouche lorsque de colère je me mords la langue. (Temps) Il fallut mettre le holà. Pour me protéger de moi-même et de la curiosité malsaine des familles des alentours on prit l’habitude de m’enfermer dans un placard à balais. Aïe aïe aïe. Dans la cuisine. Entre le mur et le réfrigérateur derrière une porte jaune paille j’ai passé des heures avec le ramasse-poussière le seau la serpillière et le balai. Pas d’allumettes à portée de mains ni d’aiguilles ou de paire de ciseaux encore moins de plaque chauffante : à l’intérieur du placard à balais il ne pouvait rien m’arriver et mes parents respiraient un peu. Oh je n’y restais pas longtemps. Une heure ou deux. Le temps de me calmer.