luc tartar
Parti chercher (2006)
mise à jour:

Parti chercherEditions Lansman, 2006
Parti chercher est une commande de la Coordination Théâtre (Moutier, Suisse) et du Théâtre d’Arras.


Parti chercher trésor, sommeil, parti chercher de l’or, soleil…
Qui n’a jamais rêvé de tout quitter ?
Josépha dirige une auberge. C’est une femme seule qui a vu jadis partir son mari, disparu lors d’une ascension de l’Everest, puis son fils, sur les traces de son père. Régis est parti chercher papa, tabac, sagesse, caresses, fortune, la lune… Comment vivre son absence, comment vivre son retour ?
Quatre personnages sur un fil, pour cette histoire de l’extrême (partir et revenir après vingt-cinq ans…) qui interroge nos liens du sol et nos liens du sang. C’est un théâtre de la mémoire et de la catastrophe, théâtre du déséquilibre et de l’intime fêlure, dans lequel l’humour surgit tout seul, sans qu’on lui ait rien demandé. Heureusement qu’il est là, l’humour, on peut s’appuyer sur lui, car la route est longue et l’avenir incertain.
Qui n’a jamais rêvé de tout quitter et de partir chercher l’oubli, l’amour, amis, secours…


Un extrait :

La femme : Ça a l’air bon ce que vous mangez qu’est-ce que c’est ?

L’homme : Pissenlit.

La femme : Incroyable. Ça se mange ? Remarquez y’en a bien qui avalent de l’ortie. Le pissenlit ça reste de la salade. Enfin je crois. C’est toujours mieux que mon sandwich. Du saucisson un cornichon cinq Euros vous vous rendez compte ? Ils prennent vraiment les gens pour des cons. Faudrait pas se laisser faire. Au moins le pissenlit y’a qu’à se baisser pour le ramasser. Vous le cueillez bien vous-même non ? Ça peut pas être mauvais. Son téléphone sonne. Excusez-moi. Allô… Au parc. Je fais une pause… Tu sais bien ils m’ont collé le panneau. « Partir à tous prix ». C’est leur nouvelle campagne de pub. Ils nous collent ça sur le dos et roule ma poule… Comment ça va à l’hôpital ?… Et toi tu as mangé ?…Un sandwich… Saucisson cornichon cinq Euros tu te rends compte ?… Maman… Oui je sais... le saucisson... Tu sais quoi demain j’essaie les pissenlits… Elle raccroche. C’est un drôle de sac à dos que vous avez là. J’en ai jamais vu des comme ça. Ça vient d’où ?

L’homme : Himalaya.

La femme : Ça alors. Me dites pas que vous venez de là-bas… A pied ? Excusez-moi. Je suis indiscrète mais c’est que j’ai pas l’habitude de partager le même banc qu’un… que… Vous alors… Avec votre barda on peut pas vous louper. Un routard dis donc. Un vrai de vrai. Et qui vient de l’Himalaya en plus. Quand je vais dire ça à ma mère… Son téléphone sonne. Tu tombes bien. Tu devineras jamais qui j’ai… Une larme ?… Comment ça une larme ?… Une larme qui coule sur sa joue ?… Tu as prévenu les infirmières ? Non. Ne dis rien aux infirmières. Tu es sûre que c’est bien une larme ?… Alors ne la touche pas maman. Laisse-la couler. Ne la touche pas surtout. Laisse-le pleurer. Elle raccroche.

L’homme : Des ennuis ?

La femme : Papa pleure. Papa n’a pas dit un mot depuis trois mois et aujourd’hui papa pleure. Papa n’a pas bougé d’un cil depuis tout ce temps et aujourd’hui ses paupières s’entrouvrent et laissent passer une larme. Maman lui parle de mon sandwich et hop le voilà qui se met à pleurer. Vous vous rendez compte ? Mon sandwich ! Saucisson cornichon une saloperie à cinq Euros qui tire une larme à un pauvre homme dans le coma. Elle s’effondre. C’est bête. Je pensais qu’il réagirait à une caresse à un baiser et le voilà qui chiale sur mon sandwich. Mon sandwich… Papa pleure et moi je suis pas là…


+  La mise en scène d'Aline Steiner