luc tartar
Petites Comédies de la vie (2004)
L’Abécédaire, Starting-blocks, Monsieur André Madame Annick
mise à jour:
Editions Lansman, 2004
Monsieur André Madame Annick a été écrit en résidence d’écriture au Théâtre d’Arras, janvier-mars 1997.
 

L'Abécédaire

 
Scènes de vie dans un hospice : des bribes d’histoires personnelles, des rêves et des chamailleries. Huit petits vieux radiographiés (debout, couchés, attachés) qui ne cessent en gueulant, en s’agitant, en ironisant, de vouloir prouver qu’ils existent encore…
 

La presse :

Il s’agit d’un texte résolument moderne, basé sur le dialogue de la rue, de tous les jours, très rythmé, un texte à l’écoute duquel on pense à Kafka, où l’on se prend à rêver à Beckett. 
La Voix du Nord, Isabelle Demeyere.
 

Note de lecture & dramaturgie :

(Lettre de Diane Pavlovic à Luc Tartar, 28 janvier 2001.)
Cet hospice vaguement concentrationnaire où se disputent des vieux sur qui on sait peu de chose est lui-même assez peu déterminé (ça pourrait presque être futuriste, ce lieu), mais il grouille de chamailleries qui vont et viennent sans arrêt du quotidien au sens de la vie, du sang et autres excrétions corporelles à la quête de transcendance et au transport amoureux. [...]
 Il y a un tragique ténu qui se maintient tout le long, même si c’est d’une drôlerie complètement loufoque par moments. Et tu as créé, en quelques traits, de beaux personnages; chacun a une couleur, une densité propre, voire un bref passé, mais au-delà de la surdité de l’un ou de la rage de l’autre (ah cette Madame B), on retient vraiment l’idée d’un tableau, un tableau à ce point précis dans les détails qu’il en devient presque abstrait : ce dont il parle réellement, il n’en parle jamais nommément. J’aime beaucoup cette façon d’aborder le silence en explorant le vacarme dont on le couvre. Ancré dans la réalité des petites gens, situé en France, contemporain de la télé et de certaines expressions parlées, le portrait que tu as tracé est par essence atemporel, tant par les questions qu’il pose (qu’est-ce que c’est, une vie ?) que par les éléments qui le composent : des humains en fin de course encombrés par leur corps, et dont l’esprit se rebiffe et a peur.
[…] Ce n’est pas encore tout à fait «ta» langue (ciselée, tranchante, économe), même si le ton est très reconnaissable : ils n’y vont pas avec le dos de la (petite, dirait Madame H) cuillère, tes personnages, quand ils se parlent ! Ça leur donne d’ailleurs quelque chose d’incroyablement vivant, et ce «quelque chose» se perçoit dès les toutes premières répliques de ce tout premier texte… […] Dernières remarques : j’aime bien Martine (un homme portant un nom de femme dès ton premier texte, tiens donc), le Docteur (une femme, déjà), et je te pardonne "La Yougoslavie c’est la mort ! ", parce que tu ne me connaissais pas à l’époque où tu as écrit cette phrase malheureuse. (Quoique, quand on y pense…)
Diane Pavlovic, directrice du programme d’Ecriture dramatique de l’Ecole nationale de théâtre du Canada à Montréal.

Un extrait :

Mme B : P'tite mère...
P'tite mère...
Pauv' p'tite mère...
Chez ta fille on te compte l'usure des draps.
Ici on t'attache avec des fils.
P'tite mère...
T'as déchiré ton testament.
Ca vaut pas tripette...
Vous avez rien qu'il a dit c'est pas la peine de faire un testament.
Saloperie.
P'tite mère...
T'es meurtrie...
Non j'sais pas pourquoi y t'ont attachée.
Non j'sais pas pourquoi y t'ont attachée.
T'es sage pourtant.
T'es sage.
P'tite mère.
+  La mise en scène de Thomas Gennari

Starting-blocks

 
Une famille bourgeoise s’évertue à préparer comme il se doit le mariage de la fille aînée. Catastrophe, rien ne va plus. Sur un rythme effréné, l’enchaînement des quiproquos et le croisement des hystéries transforment peu à peu ce plus beau jour de la vie en véritable fiasco...
 

Un extrait :

Papa : C'est la liste ?
Maman : Oui.
Papa : Tu m'expliques ?
Maman : Bon. Tu vas chercher Mamie. En route tu t'arrêtes chez Derlot pour les petits fours. Tout est réglé il n'y a pas de problème. Tu passes chez le fleuriste pour le bouquet tu achètes du riz pour l'église et des chocolats pour monsieur le curé. Ton frère a appelé. Il faut que tu ailles chercher la BM entre neuf et dix heures tu m'écoutes entre neuf et dix heures ! Ils l'ont terminée il paraît qu'elle est superbe. En fait tu vas chercher Mamie et tu la conduis chez ton frère. Là tu changes de voiture tu laisses la Simca et tu prends la BM avec Mamie. Tu as compris ? Bon. Où est-ce que j'en étais moi ? Ah oui le bouquet ! Tu feras attention qu'ils ne nous refilent pas le bouquet des Dupont. Les Dupont oui tu vois qui c'est non ? Bon. Alors tu ne prendras pas leur bouquet. Je l'ai vu hier c'est une horreur. Une espèce de grande tige avec des boules autour. C'est affreux je ne veux pas de ça. Nous c'est l'autre le petit avec les marguerites. Pour le riz ça n'a pas d'importance tu prends ce que tu veux pas trop cher c'est pour jeter à la sortie de l'église. Tu n'oublieras pas de dire à ton frère qu'il aille chercher ma sœur au train de dix heures vingt-trois. C'est elle qui a la jarretière il ne faut pas la louper. Dépêche-toi il est déjà huit heures dix ! Si ça continue nous ne serons pas prêts à temps et les Dupont vont prendre notre tour à l'église. Tu en fais une tête ! Qu'est-ce qui t'arrive ?

Monsieur André Madame Annick

 
Monsieur André et Madame Annick sont des géants, des mannequins d’osier et de carton-pâte que toute la ville s’apprête à fêter, à l’occasion du carnaval. Mais ce matin c’est la catastrophe : voilà que les porteurs, qui doivent les soulever sur leurs épaules, se révèlent incapables de porter…
La presse :
« A la fois lyrique et réaliste, truffé de jeux de mots, se référant aussi bien à Alfred Jarry par son caractère surréaliste qu’à Samuel Beckett par son ambiance absurde, le texte de Luc Tartar évoque les carnavals du nord de la France à travers deux archétypes : les géants, tout auréolés de leur grandeur, et les porteurs à leurs pieds, chargés de les transporter. L’histoire à double face, entre la comédie et la tragédie, évolue de la féerie des premiers, échappés d’un monde onirique, à la vie quotidienne des seconds confrontés à la réalité du travail. »
Fabrice Littamé, L’Union dimanche (Champagne-Ardenne-Picardie) 25 novembre 2007.
 

Un extrait :

Monsieur André : Je ne veux plus piétiner sur place en retenant mon souffle à chaque prévision économique ou autre miracle du même genre. Aujourd'hui c'est jour de carnaval c'est mon jour de sortie : qu'on me porte aux nues que j'entre dans la danse qu'on me donne en spectacle et que le peuple tombe en transe. Aujourd'hui tout est possible. C'est notre jour de délivrance. La foule est en liesse et la bière coule à flots. C'est assez des sondages politiques et des courbes démographiques. Croyons en l'espérance et à la sortie du tunnel. Aujourd'hui c'est mardi gras c'est notre résistance culturelle et si nous le voulons ensemble nous marcherons. Holà porteur soulève-moi.
Porteur 3 : Monsieur je ne peux pas. La vie est dure j'en ai plein le dos.
Porteur 2 : Chef je vous l'avais bien dit qu'il ne ferait pas l'affaire.
Monsieur André : Alors toi porte-moi.
Porteur 2 : Chef c'est affreux moi je n'ai plus de bras.
+  La mise en scène d'Agnès Renaud