luc tartar
Revue Nord (2019)
Arras et la littérature
mise à jour:

Interview par Frédéric Gendre dans la revue Nord' (Revue de critique littéraire des Hauts-de-France).

 

Comment décrirais-tu ton ancrage (littéraire) dans le nord. Il me semble identifier deux pistes, au moins : la Grande Guerre et le « roman familial ». Existe-t-il un lien entre les deux ?
 

L’ancrage, c’est l’enfance. C’est le petit garçon que je suis qui découvre et observe depuis la voiture familiale les cimetières militaires qui jouxtent les routes nationales et départementales du Pas-de-Calais. L’ancrage, c’est le monument aux morts de Vimy, qu’on aperçoit depuis la route Arras – Lens, si souvent empruntée. L’ancrage, c’est la côte de Vimy, ligne de fracture entre deux mondes, les plaines de l’Arrageois et le bassin minier. Ma famille habitait Arras. Un père directeur d’école, une mère sans profession. Le dimanche, nous rendions visite à ma grand-mère, à Lens. Sur le trajet, nous passions à proximité de Vimy, apercevions de loin le monument aux morts canadien... Cet ancien champ de bataille, devenu lieu de mémoire propice aux balades dominicales de tous les alentours, m’a profondément marqué. Les tranchées reconstituées, le monument en marbre blanc, la terrasse offrant une incroyable perspective sur le bassin minier, les terrils, les chevalements… l’ensemble a toujours été pour moi d’une théâtralité folle, un monumental décor, exotique et chargé de mystère, car peuplé de fantômes. Le paysage est lui-même tailladé, plein de cicatrices, les tranchées, les galeries de mine. Je suis le fils d’un paysage qui se referme sur les corps, ceux des soldats et ceux des ouvriers. Les uns comme les autres ont été gazés, ensevelis, victimes des bombes et autres coups de grisou. Le Nord est une terre de combats et de labeur et inévitablement cela laisse des traces aussi dans les corps. Autour de moi, dans ma famille, les corps ont vite montré des marques de faiblesse. Fernand, le grand-père soldat, est mort des suites des gazages de la Grande Guerre et j’ai moi-même bataillé sur la crête de l’impensable, dans une relation triangulaire et mortifère entre ma maladie et celles de mon père et de ma mère. Des années de lutte, retranscrites dans plusieurs pièces, deux romans et un journal. Papa Alzheimer, Information sur le schnaps, puis Le marteau d’Alfred, Sauvez Régine et Les bassines ont fait le tour de l’insupportable déchéance des proches et du désarroi devant l’inéluctable. « Du sang c’est pas de l’eau », disait une vieille paysanne des collines de l’Artois, amie de ma famille et que nous, les enfants, considérions comme notre seconde maman. Non, du sang c’est pas de l’eau. C’est du sang et c’est parfois aussi de l’encre.

 

 

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